Audition de Dominique Rousseau Assemblée locale

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Audition publique de Dominique Rousseau par l’Assemblée locale délibérative de la deuxième circonscription de Paris organisée par Quitterie de Villepin et son équipe le 12 décembre. Un échange passionnant autour de nombreux sujets : Quelles différences entre démocratie représentative, démocratie directe et démocratie continue ? Qu’est ce que l’assemblée primaire des citoyennes et des citoyens proposée par Dominique Rousseau ? Qu’est-ce qu’un mandat délibératif ? Quel lien entre l’assemblée locale et les missions du parlement ? Quels autres rôles pour l’Assemblée délibérative ? La révocation des élu·e·s, bonne ou mauvaise idée ? Quels obstacles à l’Assemblée locale ? Tirage au sort et composition de l’Assemblée locale. Le temps long de la démocratie. Quelles institutions pour les citoyennes et les citoyens au 21ème siècle ?

Transcription de l’audition de Dominique Rousseau par l’Assemblée locale :

Quitterie de Villepin : cette campagne législative que je porte sur la deuxième circonscription de Paris, c’est le 5e, 6e et 7e arrondissement, elle se fonde sur trois piliers.

Le premier pilier, c’est tenir les engagements de la France. L’accord de Paris, les objectifs de développement durable, la feuille de route vers 2030.

Une méthode : construire avec les citoyennes et citoyens de la deuxième circonscription de Paris ce mandat tout au long du mandat.

Et une ambition, c’est tenir parole.

Cette assemblée locale, qu’on appelle de nos vœux, de nos rêves, on va la co-construire tout au long de ces sept mois.

On aurait pu avoir des idées préconçues, dire : « voilà comment on va faire ».

On a fait le choix de la construire une fois par mois en se réunissant ici au Labo de l’édition.

Et entre temps, on mène des auditions, des entretiens, on va chercher des réponses à nos questions et aussi, on grandit en connaissances sur ce que ça veut dire la démocratie délibérative.

On s’ancre et on s’axe, non pas sur un mandat représentatif, non pas sur un mandat impératif, on aura le temps de creuser ça avec vous, mais vraiment cette ligne de crête qui n’existe pas beaucoup aujourd’hui, qui serait ce mandat délibératif.

On veut prendre soin de la démocratie, on veut reconstruire de la confiance et on apprend d’ores et déjà aujourd’hui, on se met en configuration de mandat, on apprend à délibérer entre nous.

La méthode de travail, c’est un atelier par point, des temps de travail intermédiaires avec beaucoup d’entre vous ici, est-ce que vous pouvez lever la main celles et ceux qui vraiment contribuent à la construction de cette assemblée locale ?

N’hésitez pas vous avez le droit, celles et ceux qui entre deux rendez-vous modélisent, digèrent ce qu’on a, ce qu’on a produit ensemble. Et voilà, on a 3 phases de travail.

La première, c’est pendant trois mois où on évalue, on auditionne, on va chercher de l’information entre des théoriciennes et de théoriciens de la démocratie, mais aussi des praticiennes et des praticiens qui mettent en œuvre les conditions délibératives.

Ensuite, on va peser début février les ingrédients et on va mettre en œuvre un prototype d’Assemblée locale et ensuite on va l’analyser, voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas.

On sait bien que si ça devait passer, si cette assemblée locale délibérative devait voir le jour pour de vrai au début du mandat, elle serait en permanence une évolution, une co-construction.

Merci Dominique Rousseau d’avoir accepté de venir aujourd’hui.

Je vais passer la parole à deux représentantes du groupe de travail qui ont préparé l’audition et qui vont animer ce temps échange. On a aussi Manuel qui est là-bas, qui va nous faire signe quand on dépasse le temps imparti. Merci Manuel, qui est le maître du temps sur cette session.

Question : Bonjour, on va commencer cette audition par quelques définitions de notions clés.

Alors, premièrement, comment définiriez-vous la démocratie continue et la démocratie délibérative ?

Dominique Rousseau : Ah, tout de suite, comme ça (rires). Eh bien, ça commence chaud.

Quitterie de Villepin : L’objectif de cette session, c’est qu’on parle toutes et tous avec le même bagage et on a besoin de fixer quelques notions.

Dominique Rousseau : Pas de problèmes, d’abord, quand même, permettez-moi de vous remercier de m’avoir invité. Je suis très, très heureux d’être parmi vous cet après midi pour participer à votre travail.

Je crois qu’on s’est rencontrés il y a deux ou trois ans lorsque vous animiez l’association #MAVOIX, c’est ça, non, c’était il y a plus longtemps ?

Quitterie de Villepin : Alors, c’était il y a très longtemps, Dominique, puisque c’était dans le cadre, effectivement, de #MAVOIX qui était aux précédentes législatives et on s’est rencontrés en 2016.

Dominique Rousseau : Voilà, c’est ça, oui. Merci de votre invitation. Alors, j’ai accepté avec plaisir pour Quitterie, que j’avais rencontrée il y a quelques années et j’ai accepté aussi avec plaisir parce que, ayant réfléchi, en tant qu’universitaire, sur la crise de la démocratie et comment, quelles sont les voies possibles pour pouvoir en sortir ?

J’avais construit, mais alors là, il y a très longtemps, en 1992, la notion de démocratie continue, lors d’un colloque que j’avais organisé avec des collègues, philosophes, historiens, politistes et juristes, et j’avais proposé déjà en 92 cette idée de démocratie continue.

J’ai eu l’occasion par la suite de développer cette notion dans des colloques à l’étranger collègues avec des associations avec #MAVOIX, Nuit debout.

C’est toujours, comment dire, c’est toujours agréable et risqué pour un universitaire de se retrouver sur le terrain pour voir si ses idées prennent ou pas et qu’est-ce qu’on fait des idées qu’on a, à un moment donné construites ?

Alors, qu’est-ce que c’est que la démocratie continue ?

Rapidement, si vous voulez, c’est une troisième forme de démocratie. Si on fait de manière très classique, si c’est connu, je passe, mais, on distingue d’habitude la forme représentative de la démocratie et la forme directe de la démocratie, lorsque dans le débat politique, c’est, en gros, ou la rue, démocratie directe, ou les institutions, démocratie représentative.

Et, la forme représentative de la démocratie, c’est une forme où le monopole de la fabrication des lois, le monopole de la fabrication des politiques publiques que ce soit locales, nationales ou européennes, appartient à des représentants, éventuellement élus, mais ce n’est pas nécessaire, avec des représentants qui vont, là je cite Sieyès, qui vont vouloir agir et parler au nom du peuple.

C’est à dire que la forme représentative de la démocratie repose sur le principe de la fusion entre le corps du peuple et le corps des représentants. Ils ne font qu’un.

Et la volonté des représentants est mécaniquement calée sur la volonté des représentés. Celui qui veut pour la nation, ce sont les représentants. Et donc, nous avons un mandat représentatif.

On a un mandat représentatif, c’est à dire que, c’est très important à comprendre, parce que dans la forme représentative de la démocratie, ça paraît un peu dur ce que je vais dire, mais c’est pourtant comme ça que ça fonctionne, les citoyens, lorsqu’ils votent, n’expriment pas une volonté.

Ils n’expriment pas un choix politique. Ils désignent des élus et ce sont les élus qui vont construire la volonté.

Donc, la forme représentative, ce n’est pas nous avons une volonté que nous transmettons aux représentants. Non, nous élisons les représentants et c’est eux qui vont construire la volonté, car nous, dans la forme représentative, nous n’avons pas de volonté.

Nous avons des humeurs, des souhaits, on est jaloux, on veut tuer le voisin, lui piquer son fric, sa femme, son mec.

Donc, on n’a pas de volonté. Heureusement qu’il y a les représentants

Je dis heureusement, heureusement qu’il y a des représentants parce que, eux, ils savent, ils vont construire la volonté que nous, on ne sait pas. D’où le mandat représentatif.

Mais il faut bien voir que ce mandat représentatif, vous me coupez si je suis trop long, ce mandat représentatif, il est à la base de la Révolution française.

Parce que quand, quand les révolutionnaires, disent, Louis XVI, vire, on prend ta place. Louis XVI dit, mais c’est marqué où qu’il faut que vous preniez ma place ? Dans les cahiers de doléances il n’y a pas marqué qu’il faut tuer le roi et qui faut prendre sa place.

Et vous avez un mandat impératif, vous devez représenter ceux qui vous ont désigné pour siéger.

Et là, coup de génie de Mirabeau, non, non, non, non, nous représentons la nation et nous sommes indépendants de ce qui a été écrit dans les cahiers de doléances.

Et si nous, nation, nous décidons qu’il faut vous couper la tête, et bien on vous coupera la tête, puisque c’est nous qui, maintenant, exprimant la volonté de la nation.

Donc, le mandat représentatif que l’on critique aujourd’hui, à mon avis à juste titre, c’est ce qui a permis la révolution de 89.

Parce que s’il n’y avait pas eu de mandat représentatif, les députés n’auraient plus eu qu’à transmettre la volonté des citoyens qui était simplement de mieux répartir les impôts…

Ça, c’est la forme représentative et c’est la forme sous laquelle on vit depuis 1789. Avec des aménagements, parce que maintenant, on élit, il y a eu le suffrage censitaire, je passe…

La deuxième forme, c’est la forme directe.

Alors, la forme directe de la démocratie, c’est la forme où il n’y a pas de représentants. Les citoyens s’expriment donc sans intermédiaire, directement, et notamment par la voie du référendum. Ils parlent eux-mêmes.

Et si, à cause de considérations géographiques : le pays est grand, etc., il faut une représentation, c’est ce que disait Jean-Jacques Rousseau, à ce moment-là, il faut un mandat impératif, c’est à dire à la limite, on peut accepter des députés, mais les députés ne feront que transmettre la volonté du peuple.

Mandat impératif.

Bon, jusqu’à présent, on fonctionne sur ces deux formes.

Alors moi, j’ai proposé la forme continue de la démocratie. C’est important de resituer historiquement. Pourquoi 92 ? Parce qu’en 92,

Maintenant, ça ne dit rien à tous ceux qui sont jeunes, les moins de 30 ans ne peuvent pas comprendre. Mais en 90-91, il y a Fukuyama qui sort un bouquin : l’histoire est finie, le communisme a échoué, les dictatures tombent à l’époque, Amérique latine, Pinochet etc. donc, les dictatures, tombent, l’histoire est finie.

Il n’y a plus que le système libéral partout et la démocratie est partout.

Et c’est contre cette idée que l’histoire était finie, que moi, je dis, non, elle continue, la démocratie continue, donc ça se situe dans ce moment historique-là, en réponse, en quelque sorte, à ce courant philosophico politique qui affirmait qu’il n’y avait plus rien à faire et que voilà. Ça, c’est pour le contexte historique.

Pour le contenu, pour le sens de démocratie continue, si je le résume de manière très brève, continue ça veut dire qu’elle ne s’arrête pas au moment électoral, c’est à dire qu’elle continue entre deux moments électoraux.

Mais ça veut dire aussi qu’elle ne s’arrête pas à l’État, elle doit continuer dans la famille, dans l’entreprise, dans l’école, dans les universités, dans toutes les sphères de la société, la démocratie n’est pas limitée à l’État.

La démocratie, pour moi, est une forme de société et par conséquent, les principes qui l’animent, par exemple la séparation des pouvoirs, la garantie des droits etc. doivent pénétrer toutes les sphères sociales.

En ce sens, si vous voulez je me réfère, si vous voulez des références philosophiques, c’est plutôt Claude Lefort. Les droits de l’homme ne sont jamais définis, ne sont jamais définitivement fixés.

Ils sont constamment ouverts puisque, moi, c’est ma conviction.

Comme les droits ne viennent pas d’en haut parce que Dieu n’existe peut-être pas, puis s’il n’existe…

Les droits viennent du bas, c’est à dire des luttes sociales et politiques que nous avons menées et par conséquent, puisque les luttes continuent, la liste des droits n’est jamais terminée.

On le voit bien aujourd’hui avec les jeunes qui luttent pour que soient reconnus le droit au respect du climat, la biodiversité, etc.

Donc, la démocratie continue, repose sur, et se distingue des deux précédentes, dans la mesure où je ne nie pas la représentation, je ne nie pas la nécessité de la représentation parce que c’est la représentation qui nous fait nous voir égaux en droits.

Quand l’équipe de 89 disent les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, on peut s’interroger sur leur santé mentale parce qu’on n’est pas égaux en droits.

On n’est pas égaux, en fait. En fait, on est inégaux. Il y a des riches et des pauvres. Il y a des gens qui sont beaux, d’autres moins, bon bref, on est inégaux, en fait.

Donc, c’est la représentation dans le droit qui nous fait voir égaux.

Donc, la représentation est nécessaire, contrairement à ce que dit la démocratie directe. En revanche, cette représentation ne doit pas conduire à absorber les citoyens.

Le corps des citoyens doit exister de manière autonome du corps des représentants. C’est ce que j’appelle la représentation écart. Il y a la représentation fusion, le corps du peuple rentre dans le corps de ses représentants. Et puis, il y a la représentation écart, qui maintient l’autonomie du corps des citoyens par rapport au corps des représentants.

Et à partir de là, le principe actif est nécessairement la délibération.

Puisque la volonté n’est pas dans un corps, la volonté n’est pas dans un corps, elle doit se construire par la rencontre entre deux corps.

Question : Merci, donc, rapidement, est-ce que vous pourriez nous définir l’assemblée primaire des citoyens ?

Dominique Rousseau : L’assemblée primaire des citoyens, c’est, au niveau d’une circonscription je parle au niveau d’une circonscription, l’assemblée primaire des citoyens, c’est la réunion de tous les électeurs inscrits dans la circonscription.

Il n’y a pas de tirage au sort.

Tout électeur de la circonscription est membre de droit de l’assemblée primaire de citoyens. On peut y ajouter, alors, là, je pense à l’Islande. On peut y ajouter, ce n’est pas un kit, je n’ai pas préparé un kit comme ça…  Ça se discute comme on disait à la télé autrefois. On peut y ajouter, si vous voulez, les habitants.

Parce que, là-dessus, j’hésite, j’hésite, d’où l’importance de la discussion. Soit l’assemblée primaire des citoyens, c’est tous les électeurs inscrits dans la circonscription, point barre. Soit c’est tous les habitants.

Vous pouvez avoir une discussion là-dessus, parce que si c’est tous les habitants, ça veut dire ceux qui ont 11 ans, 12 ans, 13 ans, ça veut dire les étrangers, ça veut dire les habitants.

Et évidemment, selon le choix que vous retenez de l’assemblée primaire de citoyens, la production de la loi ne sera pas la même.

Au départ, n’oubliez pas quand même que j’ai des cheveux blancs, donc, que je suis quand même assez formaté contre ce que je vous dis maintenant. Il a fallu que je bouscule un peu mes neurones pour penser ce que je pense maintenant.

Et donc, au départ, une assemblée primaire de citoyens, c’est uniquement les électeurs, justement depuis, en discutant avec les uns, les autres, etc. je vais plutôt vers une assemblée primaire ouverte aux citoyens.

C’est pour ça que je parle des primaires de citoyens et davantage assemblées primaires de circonscription.

Question : Merci beaucoup. Je pense qu’on pourra y revenir après, on aura plein de questions sur cette définition. Je voulais juste revenir sur la question des mandats. Donc, vous avez parlé du mandat représentatif, du mandat. Impératif dans une démocratie directe. Mais vous avez aussi théorisé le mandat délibératif et donc, comment on peut essayer de comprendre assez simplement, assez rapidement pour ensuite qu’on puisse passer aux questions suivantes.

Dominique Rousseau : Alors, si vous voulez chaque forme de démocratie a son mandat.

Régime représentatif / mandat représentatif ; démocratie directe / mandat impératif, démocratie continue / mandat délibératif.

Alors, qu’est-ce que c’est qu’un mandat délibératif ?

Justement, comme la volonté n’est pas construite a priori, alors que dans la forme représentative, elle est construite, elle est dans les représentants, dans la forme directe, bon, c’est un peu un magma, dans la forme continue, le rôle du député, le rôle du représentant n’est pas de vouloir pour la nation, le rôle du représentant est de faire discuter les électeurs de sa circonscription et de les faire délibérer pour ensuite porter à l’Assemblée nationale, les différents arguments qui ont été avancés sur telle ou telle proposition de loi.

Imaginez que votre député, par exemple ait à voter sur la fin de vie, par exemple, ou contre le licenciement économique, ou pour les 32 heures, peu importe.

Dans la forme représentative, le député, il vote comme il l’entend.

Avec le mandat délibératif, le rôle du député sera de faire discuter les habitants de sa circonscription, d’écouter les différents arguments, donc les faire délibérer, un peu un rôle d’instituteur de la République, en quelque sorte, de les faire délibérer pour, à partir de ce qu’il aura entendu de ces différentes délibérations, porter cette voix à l’Assemblée nationale.

Alors, ce n’est pas un mandat impératif, en ce sens que le député, dans son assemblée, est un citoyen comme les autres, car le député pourrait très bien dire écoutez, vous, vous voulez la semaine des 32 heures, moi, je trouve que c’est nul, vaut mieux la semaine de 35.

Donc, le député n’aura pas un mandat impératif.

Son rôle, sa fonction aura été de faire discuter, de faire échanger les citoyens, les habitants, lui compris. Et à partir de là, de porter au moins à l’Assemblée nationale les débats contradictoires qui ont pu avoir lieu sur tel ou tel sujet.

Ça amène du coup à ma question suivante : dans le cadre actuellement du travail assez classique, d’un ou d’une députée, à savoir le travail législatif, le travail de contrôle de l’exécutif et le travail d’évaluation des politiques publiques, comment on pourrait articuler justement cette délibération au sein de l’assemblée locale délibérative avec ces trois missions qui sont pour l’instant celles qu’on connaît ?

Question : Comment vous projetteriez cette assemblée locale délibérative dans ce cadre-là ?

Dominique Rousseau : Alors, l’assemblée locale délibérative, quand vous dites fonctions législatives, il faut bien voir aujourd’hui que le législateur, c’est le gouvernement, c’est plus le Parlement, c’est le gouvernement qui fait la loi.

C’est déjà un élément.

Je pense que le travail d’une assemblée primaire locale serait d’abord de dire alors, de faire du wokisme je ne sais pas s’il faut le dire comme ça, mais en tous les cas, de laisser ou, comment dire, de favoriser un éveil permanent des citoyens sur la vie politique.

Si vous voulez, ce qu’on demande dans la forme représentative, c’est que les citoyens s’endorment le dimanche soir et se réveillent cinq ans plus tard,

Pour dire : ah ben tiens, il faut peut-être que j’aille voter.

Mais entre temps, ils ont été à la plage, ils ont été à la neige, ils ont été au chômage, ils ont eu des galères, bref.

Le premier rôle, tout simplement, c’est, en continu, c’est que le citoyen n’abandonne pas son masque, en grec, c’est persona, son masque de citoyen le dimanche soir, mais qu’il reste éveillé, qu’il reste éveillé c’est à dire qu’il ait un rôle de contrôle continu sur les représentants et sur le sien.

Parce que si Quitterie est élue, elle ne va pas tenir ses promesses, elle va faire comme les autres. Donc, il faudra la tenir, faudra la tenir.

Et ça, ça figure directement dans la Déclaration de 1789. Ce que je dis là apparaît monstrueux, mais dans la déclaration de 89, quand l’équipe, ils rédigent la déclaration, ils ont la trentaine hein, il ne faut pas l’oublier. Quand ils rédigent la déclaration, ils disent, ils expliquent pourquoi, pourquoi on énonce les droits.

Et ils donnent deux raisons.

La première, pour permettre aux citoyens de comparer le verbe n’est pas de moi, mais d’eux, de comparer ce que font les représentants avec ce qui est écrit dans la déclaration.

Et deuxièmement, afin de permettre aux citoyens de réclamer là aussi, le verbe n’est pas de moi, mais c’est d’eux afin de réclamer si, par hasard ça déconne, de réclamer qu’il respecte bien les droits.

Autrement dit, la déclaration invite les citoyens à rester éveillés constamment pour avoir l’œil, on dit j’ai l’œil sur toi fais gaffe, j’ai l’œil sur toi. La démocratie continue, finalement, ça se résume à ça.

J’ai l’œil sur Quitterie, si elle est élue, parce qu’elle va très vite faire comme les autres et elle va nous échapper.

J’ai l’œil sur vous et on va vous ramener à l’assemblée primaire du citoyen. Et je réclamerai, je réclamerai sa démission si elle accomplit pas ce qu’elle dit.

Donc, si vous voulez, le premier rôle de l’assemblée primaire, c’est ce rôle de maintenir éveillée par des réunions, donc d’assemblées primaires, alors là aussi, elle peut se réunir tous les trimestres, une fois par mois, je ne sais pas.

Donc, le premier rôle, c’est de faire en sorte que les citoyens restent éveillés par cette action de contrôle sur leurs représentants.

La deuxième fonction, c’est une fonction d’initiative des lois, c’est à dire que les assemblées primaires, etc. peuvent recevoir, de la part des citoyens de leur circonscription, des pétitions, des demandes pour dire tiens, l’Assemblée nationale devrait se saisir de tel sujet, les 30 heures, les 32 heures par exemple, par semaine.

Et donc l’assemblée primaire recevrait les pétitions qui circuleraient dans la circonscription et examinerait si c’est une bonne idée, une mauvaise idée.

Si ça vient trop tard, si ce n’est pas le moment.

Et c’est là le rôle des députés de dire : « oui, ta pétition, elle est bien, mais tu sais, il y a déjà un projet qui est en circulation, donc ce n’est peut-être pas la peine que » etc. Le député n’est pas mort dans mon système.

Il est là pour dire : votre pétition elle ne passera jamais, parce que…

Et si, en revanche, l’assemblée primaire dit OK, c’est une bonne idée, cette proposition de loi, votre député ira porter devant l’Assemblée nationale la proposition de loi.

C’est aussi le troisième élément est qui est lié au deuxième, sur l’initiative des lois, c’est aussi de délibérer sur les propositions et projets de loi. Ce que je souhaite, moi, c’est que dans la Constitution, il y est inscrit l’obligation pour les députés de faire délibérer par les assemblées primaires de citoyens, j’ai été un maximum, tous les projets et propositions de loi, c’est un peu exagéré, je suis d’accord.

Quitterie de Villepin : On va tous mourir !

Dominique Rousseau : Je suis d’accord.

Quitterie de Villepin : 300 lois par an !

Dominique Rousseau : Oui, mais il y en a peut-être besoin de moins, justement, il y en a peut-être besoin de moins. Et de les faire délibérer par les citoyens. Faut bien voir ce que ça change. Faut bien voir ce que ça change.

Aujourd’hui, les projets et propositions de loi, elles passent devant le Conseil d’État, devant des comités d’experts, on ne sait pas qui, devant les lobbies, et la seule instance devant laquelle elles ne passent pas, c’est les citoyens.

Moi, mon truc, c’est d’inverser le truc, je supprime le Conseil d’État.

On n’a rien à faire des énarques, ils font n’importe quoi, donc, on supprime le Conseil d’État et on fait passer les lois là, parce qu’il me semble que c’est à partir de l’expérience vécue par les citoyens qu’on peut dire si les 32 heures, c’est mieux que 35, pour la réforme de la santé, c’est mieux de discuter avec les infirmières et les aides-soignantes qu’avec les types qui sont dans les ministères qui n’ont jamais foutu les pieds dans un hôpital.

Donc, si vous voulez, la qualité de la règle de droit, elle viendra justement de cette confrontation qui risque d’être rock’n’roll, je ne dis pas que ce sera simple, mais, à partir de l’expérience professionnelle, sociale, vécue par chacun. Arrêtez-moi, parce que…

Question : Il manque une mission, on avait le vote des lois, on l’a, on a le contrôle, c’est bon, et l’évaluation, est-ce que ça pourrait être a posteriori de la mise en place d’une loi ? Ce qu’on peut à l’Assemblée nationale, c’est évaluer l’impact des lois. Est-ce que ce serait un rôle intéressant ?

Dominique Rousseau : Oui, tout ça, si vous voulez, pour moi, c’est dans ce que j’appelle la fonction normative, la fonction normative, c’est l’initiative, la délibération sur le contenu et le suivi.

Donc, évidemment, les assemblées primaires seraient associées à toutes les étapes de la production normative. Que ce soit celle d’une loi ou celle d’une politique publique.

Alors, la question qui se posera, excusez-moi sur l’évaluation et là à mon avis, ce sera un des problèmes, c’est la possibilité ou non pour les assemblées primaires d’auditionner.

Est-ce que l’assemblée primaire aurait le droit, par exemple, de convoquer le commissaire de police pour dire : pourquoi vous avez tapé n’importe comment sur les gens qui manifestaient là, ça, pour l’instant, je ne sais pas.

La Commission des Lois peut le faire. C’est ce que Jean-Jacques Urvoas avait fait. Jean-Jacques Urvoas, qui était député à l’époque, était président de la Commission des Lois au moment de l’état d’urgence sécuritaire, et il avait transformé la commission des lois en commission de contrôle.

Et les députés faisaient des descentes de police si j’ose dire, faisait des descentes à la préfecture. Les préfets étaient complètement fous, les préfets téléphonaient à Cazeneuve, qui était ministre de l’Intérieur, et disaient : « les députés sont là les députés sont là, mais ils n’ont pas le droit, ils n’ont pas le droit ». Mais si, ils ont le droit de contrôler comment, pourquoi le périmètre de sécurité, est là pourquoi les types qui voulaient aller à une manif écologique n’ont pas pu.

Donc, ça, c’est le rôle des commissions des lois.

Est-ce que ça peut être le rôle des assemblées primaires de citoyens. Si c’est inscrit dans la Constitution, oui.

Question : Merci pour cette réponse. Est-ce qu’en dehors de tous ces éléments que vous avez cités, est ce qu’on pourrait imaginer d’autres rôles pour cette assemblée délibérative ?

Dominique Rousseau :  Ben, c’est déjà pas mal. Je pense que si vous voulez, tous les rôles le premier, la première mission qui me paraît importante, j’allais dire obliger, obliger les citoyens à rester éveillé entre deux moments électoraux, c’est ça continue.

Obliger les citoyens à rester éveillés en continu. Par ce rôle-là, vous allez avoir par ricochet toute une série de compétences implicites, comme on dit. C’est à dire, si vous restez éveillés, vous allez découvrir, je ne sais pas, vous, vous élisez Quitterie, excusez-moi de vous prendre comme…

Quitterie de Villepin : Ben, vous êtes là pour ça…

Dominique Rousseau : Vous élisez Quitterie, ce qui est déjà quand même bien, on est d’accord. Vous élisez Quitterie et vous vous apercevez, je ne sais pas, deux ans après l’avoir élue, qu’elle a 3 yachts à Saint-Tropez, 5 villas à Avoriaz, et tout ça parce qu’elle fait un trafic de drogue depuis déjà dix ans, ce qui est vrai.

Et si vous découvrez ça, qu’est-ce que vous allez faire ? Évidemment, vous allez porter cette affaire devant la Haute autorité de la transparence pour la vie publique. Autrement dit, si vous lui donnez comme rôle, comme fonction.

En tant que juriste, il faut faire attention à ne pas rentrer trop dans le détail.

Quand Portalis fait son discours en 1804, où il présente le Code civil, Napoléon, il fait un discours remarquable où il dit, c’est pour ça que je disais 300 lois, il ne faut pas beaucoup de lois, il faut des maximes générales et laissez les gens appliquer aux cas particuliers les maximes générales.

Sinon, vous étouffez.

Donc, si vous donnez comme fonction à cette assemblée primaire de citoyens de rester éveillée et de et de garder l’œil ouvert,

Si elle découvre en cours de mandat que tel habitant du quartier, etc. est un violeur, elle va faire son boulot, elle va le dénoncer.

Donc, comment dire, la fonction générale d’œil, de comparer, d’œil, me paraît suffisante pour décliner toutes les compétences implicites qui qui viendraient comment dire de donner vie à ce principe d’éveil.

Question : On va peut-être prendre des questions d’autres personnes éventuellement, des questions ou des idées. Si vous aviez des idées de mission pour cette assemblée locale, n’hésitez pas à la mettre au centre et qu’on voit comment Dominique Rousseau réagit à ce type de mission. Qui veut prendre la parole ?

  • Oui, bonjour, j’ai une question concernant la révocation. Est-ce qu’on considère que cette assemblée primaire locale peut révoquer le député qu’elle a élu ?

Dominique Rousseau : Je suis très réservé à l’égard de la révocation. Je pourrais vous faire passer, je viens de faire un papier là-dessus, justement sur la révocation. Je crois que c’est une fausse bonne idée et c’est très difficile à mettre en pratique.

Parce que ça implique d’avoir résolu toute une série de questions. Pour révoquer un élu, il faut aller en amont. Vous révoquez un élu parce qu’il trahi la volonté des électeurs. D’accord.

  • Oui, je n’ai pas dit que j’étais pour la révocation.

Dominique Rousseau : Non, non, non, non, non, non. Je raisonne avec vous. Je demande la révocation de mon élu parce qu’il a trahi ma volonté. Or, je le disais tout à l’heure, il n’y a pas de volonté a priori, c’est l’élu qui forme la volonté. Donc, je ne sais pas moi, par exemple, quand on élit de Gaulle, qu’est-ce qu’on exprime, nous, les électeurs, déjà, je n’ai pas voté en 58, j’ai des cheveux blancs, mais quand même pas à ce point.

Quand on vote pour de Gaulle, on vote pour l’indépendance de l’Algérie, pour le maintien de l’Algérie en France ?

Quand on vote pour Hollande, on vote pour l’ennemi, c’est la finance ou la déchéance de nationalité ?

Quand on vote pour Macron, on vote pour Macron ou contre Le Pen ?

Donc, si vous voulez, déjà, la révocation des élus supposerait que le corps électoral exprime une volonté. Or, non. Admettons qu’il exprime une volonté admettant qu’il exprime une volonté, ne vont pouvoir demander la révocation des élus que ceux qui ont voté pour lui.

Si, par exemple, si je reprends l’exemple de Hollande, Hollande est de gauche, dit-on, et il fait la déchéance de nationalité. Qui a le droit de demander la révocation d’Hollande ? Pas les gens de droite puisqu’ils sont d’accord avec lui. Les gens de gauche ?

Donc, ça veut dire qu’on va porter atteinte au secret du vote.

Bon, donc, si vous voulez, la révocation de l’élu, qui apparaît a priori sympathique, pose un certain nombre de problèmes théoriques, mais aussi, mais aussi pratique parce que ne pourront demander la révocation des élus que ceux qui ont voté pour cet élu et qui s’estiment trahis par l’élu.

Et si on arrive à la démission, ne pourront voter que ceux qui ont obtenu la révocation de l’élu.

Donc, c’est un moyen, c’est un moyen qui ne me parait pas… Enfin, théoriquement difficile à penser et qui ouvre sur une multitude de questions difficiles à résoudre.  Et je dirais qu’en plus, ça se termine par l’élection d’un nouveau représentant qui lui-même risque de trahir etc.

Question : Est-ce que l’une ou l’un d’entre vous ?…

  • Donc depuis 92, je suppose que vous avez vu un peu l’évolution. Et aujourd’hui, quels sont les principaux freins ou les limites que vous voyez à ce modèle ? Qu’est-ce qui, voilà, limite, ou qu’est-ce qui freine, où est-ce qu’on en est ? Moi, je trouve qu’il y a pas mal de choses spontanées qui s’expriment aujourd’hui dans la rue ?

Dominique Rousseau : Oui, si vous voulez aujourd’hui, les obstacles sont plus nombreux qu’en 92. Les obstacles sont plus nombreux qu’en 92, parce qu’en 92, quand j’ai proposé ce terme de démocratie continue, on m’a regardé gentiment.

Sauf qu’aujourd’hui, les conseils de quartier qui se multiplient, les associations de citoyens, Nuit debout, les Indignés, Occupy Wall Street, la colère des peuples un peu partout, fait qu’on voit bien qu’il y a une demande. Regardez ce qui se passe au Chili, par exemple, avec l’assemblée constituante.

Donc, il y a une demande d’intervention des citoyens, qui ne votent plus, mais ils ne votent plus en disant on est citoyen parce qu’on ne vote plus. Quand on dit il y a une crise de la citoyenneté, les gens votent plus, ce n’est pas du tout vrai, les gens ne votent plus parce qu’ils savent qu’ils se font avoir et ils veulent exercer leur métier de citoyen, justement parce que j’ai dit tout à l’heure.

Et donc aujourd’hui, si vous voulez il y a deux blocages principaux à l’encontre de mon point de vue.

Il y a le blocage classique des représentants de la démocratie représentative. Et si vous vous souvenez des discours de tous les hommes politiques, quelles que soient leurs opinions. Je crois que c’est Jean-Pierre Raffarin qui a formulé de la manière la plus claire : « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Autrement dit, le lieu de décision reste l’Assemblée nationale, reste le Parlement.

Et chaque fois qu’on avance, chaque fois qu’on avance, que ce soient les conventions de citoyens, regardez la Convention citoyenne sur le climat, quel que soit, ce qu’on pense de la manière dont elle a été organisée, manipulée et instrumentalisée, etc.

Les députés ont vécu cela comme étant une concurrence déloyale.

Et quand Macron a dit : « je reprendrais leurs conclusions sans filtre », ce n’est pas pour défendre Macron que je dis ça, mais c’est le début des compromis.

Il était hors de question que ce soit sans filtre. Nous, on serait une chambre d’enregistrement d’équipes qui n’ont même pas été élus.

Autrement dit, l’obstacle à ce que je raconte vient des représentants qui, évidemment, ont bien pris conscience que pour eux, c’était un danger.

Puisque plus la démocratie augmentera, montera en puissance, plus la démocratie représentative baissera.

Donc, évidemment, ils défendent leur truc.

Ça, à la limite, c’est un risque, c’est un obstacle, mais qui peut être, qui est moins fort que l’autre dont je vais parler, parce que les députés ou les candidats députés prennent conscience quand même que ça bouge et y compris que pour être élu, d’ailleurs, c’est ce qu’a compris Quitterie, y compris pour être élu, il faut quand même parler aux habitants de sa conception.

Je vous taquine, hein, vous ne m’inviterez plus, si on veut être élu, il faut quand même dire aux citoyens attendez, je resterai quand même avec vous. Donc, c’est un obstacle.

Mais l’autre obstacle, alors là, qui me paraît plus fort, notamment depuis les gilets jaunes et Nuit debout, et j’ai eu beaucoup de discussions avec eux, on s’est engueulé etc. parce que… C’est le refus de la représentation, le refus des institutions.

Le refus des institutions, ça, ça me paraît dangereux parce que, il n’y a pas de démocratie continue, il n’y a pas de démocratie possible, si, à un moment donné, il n’y a pas une forme de représentation, à condition qu’elles ne conduisent pas à la fusion.

C’est pour ça que je fais la différence entre représentation, fusion et représentation écart et qu’il y ait à un moment des institutions, or, le problème de Nuit debout, le problème des gilets jaunes, c’est qu’ils ne voulaient pas de représentants le type ou la femme qui se disait représentant, porte-parole des gilets jaunes, dégommé le soir même.

La comparaison n’est pas de moi, elle est de Bergson, qui comparait, la question des institutions avec le jet d’eau, l’eau sort de la fontaine et retombe, si vous voulez, l’énergie sociale, elle sort de la société, elle sort de la société, mais pour éviter qu’elle retombe, il faut des institutions qui l’inscrivent dans la durée.

Nuit debout, vachement sympa, Nuit debout, mais, c’est où, maintenant ? Les gilets jaunes ? Alors s’ils ne se donnent pas des institutions, c’est Le Pen ou Mélenchon ou je ne sais pas qui, qui, eux, ont des institutions qui vont essayer de les récupérer.

Donc, la question, c’est celle… Il y a eu le même débat, excusez-moi, je termine là-dessus, mais il y a eu le même débat, par exemple, où j’avais été invité par eux, c’était à Madrid pour les indignés.

Lors de leur congrès, il y avait Iglesias, pas Julio mais l’autre, là, et le centre de leurs débats, c’était alors, en espagnol, c’est calies y institutionales, c’est à dire, la rue ou les institutions. Et ils ont joué les institutions.

Résultat, Podemos est aujourd’hui au gouvernement avec les socialistes.

Je ne sais pas s’ils ont raison, ou pas, dans tous les cas, ce qui me paraît aujourd’hui l’obstacle le plus grand, c’est cette hostilité à l’égard de toute institutionnalisation. Je la comprends parce que les gens se sont tellement fait avoir par les institutions qu’ils n’en veulent plus.

Le problème, c’est que… qu’est-ce qu’elle a fait la bourgeoisie ? La bourgeoisie, elle s’est donné ses propres institutions, l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale en 89, c’est ce que dit Sieyès : le tiers état, c’est quoi ? C’est tout, puis, c’est rien, et ça demande à être quelque chose. Que fait le tiers état ? Il crée son assemblée et c’est à partir du moment où le tiers état a créé son institution que la bourgeoisie a pu peser dans les institutions.

Question : On va prendre encore deux questions au moins.

  • Vous avez parlé, vous avez présenté donc cette assemblée primaire des citoyens, des citoyennes ou des habitants et habitantes, mais qui correspondrait à l’ensemble soit du corps citoyen, soit du corps habitant du territoire. Ça ne représente pas les chiffres de la mais…
  • 100 000 et 72 000.
  • Voilà, merci. Ça représente beaucoup de monde à rassembler, ne serait-ce que même une fois par mois. C’est des très gros amphithéâtres qu’il faudrait. Comment est-ce que concrètement, en pratique, là est évoqué beaucoup plus une assemblée locale, tirée au sort ou autre mode de désignation. Quelle est sa légitimité démocratique ? Quel est son mandat ? On parle du mandat de la députée par rapport à cette assemblée, mais du coup, le mandat de l’Assemblée par rapport à l’assemblée primaire. Et comment, quelle est la légitimité démocratique d’une assemblée de citoyens et de citoyennes ?
  • Tirée au sort, vous voulez dire ?
  • Soit tirée au sort ou d’autres modes de désignation.

Dominique Rousseau : J’ai beaucoup de mal avec le tirage au sort. Toujours la main de Dieu qui a choisi, comme ça, au hasard, d’une certaine manière, le tirage au sort, c’est un peu refuser l’idée que par la délibération, par la raison, par l’argumentation, on va choisir quelqu’un.

Là, je reste influencé par les Lumières, par les idées des Lumières. Un choix est un choix délibéré, pas au hasard, c’est un choix délibéré. Donc, je suis un peu réticent à l’égard du tirage au sort, même si, en tant que juriste, je le connais par exemple dans les cours d’assises.

Mais bon, je mets ça entre parenthèses.

La légitimité, mais la légitimité c’est qu’elle sera inscrite dans la Constitution, Les assemblées primaires d’habitants, s’il y a une révision de la Constitution, elles seront inscrites dans la Constitution comme lieu de passage obligatoire pour l’élaboration des lois.

Mais du coup, la question de l’assemblée primaire, c’est l’ensemble, c’est l’ensemble des habitants. Est-ce qu’il y a un intermédiaire d’une assemblée de 100 000… Dans mon esprit, non. Dans mon esprit, non. Après, je pense, alors, comment réunir 100.000 habitants ? 100 000 habitants, mais en citoyens, ça fait plus ?

Quitterie de Villepin : Non, en fait il y a 100 000 habitantes et habitants et 72 000 inscrites et inscrits.

Dominique Rousseau : Bon, c’est déjà mieux. On peut dire assemblée primaire de citoyens et pas d’habitants. Donc, je reconnais l’obstacle, comment dire, pratique, qui est l’obstacle classique que l’on oppose à la démocratie directe, il faut des représentants, puisque… Je pense que sans m’y connaître beaucoup, je pense que par les moyens modernes, Zoom etc. on doit pouvoir arriver à rassembler une fois par trimestre. Alors je vais rajouter autre chose, une fois par trimestre, une assemblée de citoyens.

Je voudrais éviter le tirage au sort. Je voudrais éviter le tirage au sort pour les raisons que j’ai indiquées et je pense que les moyens technologiques modernes doivent pouvoir permettre de résoudre ces questions. Moi, j’ai bien fait cours à un amphi de 500 personnes, un amphi de 500 à côté à Cassin, bon… Pas 72 000 ! Il y avait 500, on a pu, on a pu travailler en Zoom. Évidemment ce n’est pas 100 000, mais il y a peut-être manière de tout organiser, par quartier, de décentraliser les assemblées.

Débrouillez-vous !

Question : Peut-être une autre question assez rapide ?

  • On parlait de la difficulté, notamment lors du vote, d’exprimer la volonté et que le peuple n’exprime pas sa volonté. Est-ce que ça repose aussi sur le mode de scrutin, que ce soit pour une désignation comme l’élection ou la décision ? Et du coup, est-ce qu’il y a aussi un travail à revoir nos modes de décision, par exemple, on, met de plus en plus en avant le jugement majoritaire, par exemple, pour les élections. Est-ce que ça, c’est un outil qui permet aussi d’être un plus proche de l’expression de la volonté ?

Dominique Rousseau : Oui, absolument, absolument. Je pense qu’il y a aussi le temps. Il y a le jugement majoritaire, qui arrive, à comment dire, une position moyenne. Mais il y a aussi surtout le temps. Je pense que la démocratie, c’est le temps long, c’est à dire, est-ce que sur la fin de vie, est-ce qu’il faut voter une loi pour la fin de vie, ça ne se décide pas au doigt mouillé, ça ne se décide pas comme ça en 5 minutes. Donc, il faut que ça mûrisse. Donc, je pense qu’avant le vote, il faut qu’il y ait un temps et c’est ça la délibération, un temps long.

La démocratie, c’est la durée, c’est la temporalité.

Et c’est un peu contradictoire avec le système libéral qui impose d’aller toujours très vite. Mais je pense qu’il faut qu’on réapprenne à nous, les citoyens, qu’une bonne décision, c’est une décision qui a été délibérée et donc on met du temps et c’est une des raisons pour lesquelles je pense que cette absence de temps explique aujourd’hui la crise de confiance. Comme on veut prendre des décisions rapidement, en urgence, en urgence, l’urgence est partout, actuellement.

Donc on veut prendre des décisions vite. Résultat, nous, on ne sait pas comment elles ont été prises, on ne sait pas par qui, on ne sait pas… Elles nous tombent dessus, et on n’a pas été associés. Résultat on ne les écoute pas.

Donc, je pense que ce n’est pas parce qu’on est en urgence qu’il faut zapper le temps long de la délibération, qui est au principe une décision bonne, bonne au sens d’Aristote.

Question : On a une dernière question puis, après, on conclura ce temps.

  • J’ai une question parce que vous parliez tout à l’heure du fait que les citoyens à l’heure actuelle… Les citoyens ? À l’heure actuelle, on a un problème avec les institutions en général. Moi, j’ai une question : est-ce que ce ne serait pas, peut-être, plus pratique de faire plus de campagnes de sensibilisation, de communication avec des citoyens pour, justement, leur rappeler l’importance des institutions ? Et quel est le rôle des institutions ? Parce qu’à l’heure actuelle, par exemple, je vais prendre mon exemple, même ayant fait des études en communication politique, j’avoue que je trouve que c’est un petit peu tabou et que les institutions, on ne sait pas au quotidien, on ne sait pas quoi faire. On sait, mais sans savoir à quoi sert l’Assemblée nationale, qu’est-ce qu’ils y font ? On a souvent une mauvaise image des députés parce que, justement, on a l’impression qu’ils ne font rien du tout, à l’heure actuelle. Et je pense que pour changer, il faudrait déjà que les gens trouvent l’importance d’avoir un représentant, je pense que ce serait important d’avoir déjà conscience de qu’est-ce qu’ils font, en fait, pour les citoyens.

Dominique Rousseau : Oui, bien sûr, ce n’est pas un constitutionnaliste qui vous dira le contraire. Il faut effectivement qu’on fasse de la pédagogie. Je dirais plutôt pour apprendre ou pour prendre conscience de l’importance des institutions, je crois que le problème actuel, si vous voulez, c’est que les institutions actuelles sont déconnectées avec la société.

Les institutions, avec lesquelles on vit, elles ont été inventées au 19ème siècle. Il y a une comparaison que je prends souvent, qui est triviale et qui dit tout. Au 19e siècle ou même au début du 20ème, quand un député de Marseille quittait Paris pour aller à Marseille, c’est lui qui donnait aux Marseillais les informations sur ce qui se passe. Aujourd’hui, quand un député quitte Paris, il arrive à Marseille et ce sont les habitants de Marseille qui lui disent : « tiens, tu sais ce qui s’est passé depuis que tu es parti de Paris ? » Autrement dit, aujourd’hui, l’Assemblée nationale n’est plus connectée à la réalité de la société. Et d’où le fait que les citoyens s’en détachent.

Parce que, justement, ce ne sont pas leurs institutions, leurs institutions. Que vous vouliez ou non, elle porte son nom. L’Assemblée nationale n’est pas le lieu des citoyens, c’est l’Assemblée de la nation.

Le député, il n’est pas élu de la circonscription, mais il est élu dans la circonscription.

Ce qui fait que l’Assemblée, elle, représente la nation, c’est à dire un être abstrait. La nation, c’est un concept. C’est comme le chien, le chien, ça n’existe pas. Le chien, c’est un concept, ce qui existe, c’est le teckel, le chien-loup, le machin. Mais le chien, c’est un concept. La nation, c’est un concept, ça n’existe pas la nation réellement.

Donc, nous, on n’a pas d’assemblée, nous, les collectivités locales, elles ont leur assemblée, c’est le Sénat.  La nation, elle a son assemblée, c’est l’Assemblée nationale. Mais les citoyens, quelle est leur assemblée ? Donc, à partir du moment où ils n’ont pas d’assemblée, Rosanvallon parle de parlement des invisibles. À partir du moment où les invisibles n’ont pas leur assemblée, pourquoi voulez-vous qu’on se passionne, qu’on tombe amoureux pour l’Assemblée nationale alors que ce n’est pas notre institution ?

En revanche, ce qui est important, je crois, c’est qu’on ne pourra pas construire une démocratie, même continue, sans institutions.

À charge pour nous d’inventer, par exemple, les assemblées primaires. À charge pour nous d’inventer les institutions des citoyens. Puisque ce seront les institutions des citoyens, ils se reconnaîtront dans leurs institutions et à ce moment-là, ils connecteront.

Quitterie de Villepin : Très belle conclusion merci beaucoup à Dominique Rousseau. Merci beaucoup d’avoir éclairé nos travaux. Je ne sais pas si on ne repart pas avec plus de questions que de réponses, mais c’est le principe de ces huit mois, finalement, d’allers-retours entre la théorie et des éclairages sur les missions possibles de cette assemblée locale.

Là, ce qu’on retient, c’est qu’elle pourrait vraiment être complètement liée aux missions habituelles et finalement, sans faire de choix. Mais aussi compter sur…  ne pas choisir des mécanismes qui, quoi, comment ? Mais peut être tout le monde serait invité, les habitants et les habitants. On ne sait pas encore sous quelle forme.

Du coup, ça nécessiterait peut-être du volontariat, des personnes qui viendraient. Peut-être ce ne serait pas ouvrir des Zoom ou 72 000, ce serait ouvrir des portes, et puis voir au fur et à mesure, voilà, de l’envie. On est dans un climat de défiance immense. Donc, du coup, ce n’est peut-être pas la baguette magique qui dira voilà, on va monter cette assemblée locale, mais peut être qu’elle va se construire aussi au fur et à mesure et qu’on se posera les questions pratiques et techniques au fur et à mesure.

Mais en tout cas, d’ouvrir les portes.

Je pense qu’il était important de rappeler, notamment vos petites blagues et piques c’est aussi qu’ici, on est conscientes et conscients, du rôle qu’on a à jouer dans l’évolution de la démocratie. Vous l’avez dit voilà, ça a été construit il y a très, très longtemps et on a longtemps pensé que c’était fini, en fait.

Or, la démocratie est un idéal. Ça n’est pas un concept pour le coup, un idéal.

Et un idéal, c’est quelque chose qui est vivant et qui, manque justement aujourd’hui de vivant. Là, où on est un peu coincé, c’est que les citoyens et les citoyennes sont frustrés et ne veulent pas s’intéresser parce qu’ils n’ont pas d’impact sur la décision politique.

Mais ce qui est extrêmement grave, c’est que les parlementaires avec lesquels on discute depuis des mois ou des années, pour certaines et certains, elles aussi, subissent un système institutionnel. On voit un grand désespoir aussi, un grand malheur. L’impression de ne servir à rien à l’Assemblée nationale, l’impression d’être compressée par le temps, encore une fois 300 lois par an, des délais intenables. Voilà.

Donc, il me semble aussi qu’il y a une réflexion à avoir vis à vis de l’exécutif même et peut être un plaidoyer à apporter dans la campagne. Peut-être que le prochain mandat à l’Assemblée, pour commencer par une grande grève des parlementaires qui disent non, on ne veut pas travailler dans ces conditions.

C’est assez impressionnant de voir comme ils acceptent de se faire maltraiter et quand on est méprisé, y compris par l’exécutif, et du coup, que sur le terrain, ça se passe très mal, l’expérience du mandat est vraiment difficile.

Dominique Rousseau : D’autant qu’ils ont plus de mandats locaux maintenant. Et voilà. Avant, on les méprisait, mais au moins, ils pouvaient se rattraper parce qu’ils étaient maires ou présidents de conseil général. Là, comme il n’y a plus de cumul des mandats, ils ne servent à rien. Et il y a beaucoup de députés qui ne veulent pas se représenter.

Quitterie de Villepin : Exactement. Et donc, c’est un peu fou de faire campagne aujourd’hui pour dire oui, on aimerait rentrer à l’Assemblée nationale, ça parait vain, à l’époque. Les lois, effectivement, elles ne se décident pas à l’Assemblée nationale, elles sont décidées dans les ministères, au gouvernement. Elles arrivent là dans des conditions vraiment précipitées et pas terribles. Le temps du travail ne se fait pas. Voilà, donc c’est aussi tout ça qu’on doit avoir en tête. C’est le réel du poids de l’assemblée, le réel d’un siège à l’Assemblée nationale.

Et pour autant, cette Assemblée nationale, c’est la maison des citoyennes et des citoyens. C’est en fait notre maison commune, la fabrique de la loi. C’est elle qui régit nos vies, nos liens à tous, ce qui nous permet de vivre ensemble.

Et donc, merci d’avoir apporté cette contribution et ces éclairages aujourd’hui.

Dominique Rousseau : Merci à vous, merci de votre invitation. Merci, merci.