Investies et la place des femmes en politique

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Le parcours Investies sur la place des femmes en politique, c’était une aventure extraordinaire, dans le sens où, si je l’avais vécu quand je m’étais engagée en politique à l’époque, à l’âge de 24 ans, ça aurait changé complètement mon approche.

Quand on s’engage dans un parti politique, on prend sa carte, c’est une décision très intime, très personnelle de se mettre au service de son pays.

Et on arrive dans une maison qui est une maison préexistante depuis des dizaines, des vingtaines, des trentaines d’années, où il y a des usages conscients et surtout des usages inconscients.

On se souvient, et notamment c’est la question pour les femmes qu’adressait Investies, nos aïeules, nos grands-mères ont obtenu le droit de vote il y a 70 ans, donc ce n’est rien.

Donc les femmes n’étaient pas là pour dessiner, designer les règles du jeu de la politique et donc, du coup, on ne fait que les subir depuis toujours et on est en manque, en déficit, vraiment de femmes dans le champ politique et pas forcément en tant que femme, mais en tant que personne qui n’est pas construite dans un schéma patriarcal de domination, ce qui est aujourd’hui l’usage en politique.

Et du coup, on se retrouve un peu naïvement, on arrive, on a envie de servir, voilà, de contribuer, de réfléchir, le monde des idées, le monde de l’engagement. Et du coup, on ne se rend pas trop compte de ce qui se passe.

L’idée d’Investies, c’est dire OK, on voit des femmes arriver en politique, être aux responsabilités, notamment le point de départ d’Investies, c’est dire OK, sous le gouvernement Hollande, sans juger le fond du gouvernement Hollande, il y avait des grandes voix de femmes en politique.

Il y avait Christiane Taubira il y avait Cécile Duflot, il y avait Najat Vallaud-Belkacem, il y avait Axelle Lemaire, etc. On peut citer si on veut parler de la droite, par exemple Nathalie Kosciusko-Morizet, qui faisait partie des figures françaises.

Voilà, il y a la disparition des dinosaures après Macron qui arrive, société civile à l’Assemblée. Donc, on se dit c’est plutôt pas mal, effectivement, qu’il y ait un renouvellement des personnalités politiques. Les vieux barons locaux, ça fait 40 ans qu’ils sont là, ça suffit.

Bon, celles et ceux qui voulaient y croire, y ont cru et c’est très bien.

Mais, la grande question adressée, c’est : où sont passés ces voix importantes sur la scène politique ?

Elles ne sont plus là. Alors, c’est bien aussi de rentrer, d’exercer des responsabilités, d’aussi savoir en sortir.

Moi, je suis admirative de ce que fait Duflot chez Oxfam ou Najat Vallaud-Belkacem chez One, ou alors Axelle Lemaire dans le privé. C’est super intéressant ces allers-retours entre la politique et… D’ailleurs, je ne sais pas si elles reviendront un jour.

Je le souhaite pour notre pays. C’était de se dire OK, c’était de les rappeler. De voir dans les manifs pour le climat, les manifs contre les violences sexistes et sexuelles, les manifs contre les violences policières, un nombre de jeunes et de jeunes femmes vraiment très impressionnant.

On sait et on le voit, il n’y a pas de passage dans le champ politique parce qu’il n’y a pas de rôle modèle, je déteste ce mot, mais en fait, il n’y a pas du tout de champ du possible. En fait, c’est dire OK, il n’y a personne devant, et ces femmes qui étaient, quand même dans une certaine puissance dans le champ politique, si elles sont parties, c’est qu’en fait, ça ne vaut vraiment pas le coup.

Ce n’est pas l’endroit où il y a de l’impact, ce n’est pas l’endroit où on peut changer les choses et on ne fait que subir, et y compris quand on est au plus haut degré des responsabilités en France possible pour une femme, c’est ministre, ça se finit souvent très mal et on perd des arbitrages.

Et en termes quantitatifs, on peut reconnaître que Macron a, un peu cranté, c’est à dire qu’il y a un peu plus de femmes à l’Assemblée nationale. Il y a un gouvernement à peu près paritaire. Et en termes d’influence, qu’est-ce que ça nous raconte ?

Quand on regarde bien le gouvernement de Macron, les hommes sont quasiment tous issus de partis politiques, du PS, des Républicains, ils ont tous un poids politique, ils ont été élus avant ou ils ont des réseaux et ils sont en capacité de négocier, de faire un rapport de force, si tant est que ce soit possible dans la 5ème République.

Mais en tout cas, ils peuvent peser quand même dans la balance. On voit en revanche que globalement, toutes les femmes, en tout cas au début du mandat dans le gouvernement, société civile, donc elles avaient toutes une expertise, ça interroge la République des experts.

Mais quel poids elles avaient ? En fait, on avait l’impression d’avoir des femmes qui connaissaient à peu près ce dont elles parlaient puisqu’elles étaient issues… On pense à Pénicaud, à Nyssen, à Belloubet, à Buzin, qui étaient issues de ces corps de métier, en tout cas.

Mais en termes de poids politique, le sentiment est vraiment désastreux. On avait l’impression que c’était de simples exécutantes. Elles auraient été secrétaires du premier ministre, ça aurait été exactement la même chose. Elles faisaient exactement ce qu’on leur disait, ce qui fait vraiment mal au cœur, on est au 21e siècle.

On n’a pas vu des femmes politiques puissantes, capables d’entamer des rapports de force, capables d’avoir des résultats et simplement, elles faisaient ce qu’on leur disait de faire.

Et ça, c’est extrêmement grave.

On voit à l’Assemblée en termes quantitatifs. Il y avait plus de femmes qu’avant. Sur cette mandature. Il me semble qu’à l’Assemblée, on doit être 38% de femmes dans l’Assemblée.

Très bien. Qui sont les visages qui ont émergé ? Qui a gagné des arbitrages ? On sait bien que le parlement est très faible, on sait bien que la 5ème République, c’était vraiment l’apothéose du paillasson qu’est devenu l’Assemblée.

Mais là aussi, le questionnement d’aller chercher des femmes, certaines super, d’autres un peu prêtes, d’autres qui ont mis 3 ans à comprendre dans quelle maison elles étaient…

Mais en fait, là aussi, c’est une grande souffrance de dire, mais si on fait venir des gens, il faut aussi leur donner les conditions de bien travailler, d’avoir de l’impact.

Et là, je trouve que c’est terrible pour ces nouveaux entrantes et entrants en politique, c’est non seulement elles ont vécu une double oppression. La première, c’est d’être méprisées par l’exécutif national. Et quand on est méprisé par l’exécutif national, il se trouve qu’on est aussi méprisé par les gens.

Et donc, du coup, il y a eu cette double incapacité de peser, d’agir face à l’exécutif national. Et incapacité aussi, et peur aussi, il faut comprendre ces nouvelles personnes qui se sont retrouvées, qui devaient être sûrement très compétentes dans la vie et qui se sont retrouvées au moment, par exemple, des gilets jaunes avec des permanences qui étaient barricadées avec des menaces de mort et c’est ça.

Et on croit qu’il y a des gens qui vont s’engager en politique en voyant ça. Mais en fait, plus personne ne veut y aller parce qu’à part la violence qui s’exerce, il n’y a aucun impact. En fait, faut vraiment être complètement fou, aujourd’hui, ou sociopathe, ce qui est souvent le cas. Avoir une envie démesurée de briller et de pouvoir.

Mais en tout cas, il n’y a pas de puissance, il n’y a pas de capacité à agir. On ne crante rien. Qui a cranté pendant toute cette mandature sur une loi, quelque chose qui a fonctionné, qui ne venait pas de Jupiter en direct ? Et donc ça interroge vraiment.

Investies, c’était adresser… d’abord faire ce constat, de dire OK. Où sont les femmes puissantes en France en politique ? En tout cas, elles ne sont plus là. Concrètement, là, maintenant, on ne les voit pas. La chaîne de commandement politique française, c’est que des hommes, président de la République, premier ministre, président de l’Assemblée, président du Sénat, tous les chefs de parti, excepté l’héritière. Enfin, le bilan est quand même extrêmement mauvais.

Et donc, c’est là, en termes quantitatifs, oui, un peu plus, mais en termes d’impact, ce n’est franchement pas bon.

Et de se dire, OK, très bien, la première chose à faire,

c’est d’abord de comprendre ce qui se passe dans le réel de la politique.

C’est quelque chose qui ne s’est pas fait et qui ne se fait pas assez.

Et il faut, il faudrait vraiment continuer à le faire sous des formes, ou d’autres.

Donc l’idée, c’était de dire OK, Cécile Duflot, Najat Vallaud-Belkacem, Axelle Lemaire, s’il vous plait, ce que vous avez vécu, pourriez-vous le transmettre à d’autres femmes ? Il n’y aura pas de relève si vous ne faites pas ce boulot transition. Et elle était évidemment à fond partantes, ce sont des femmes généreuses, extraordinaires, qui savent bien qu’il faut transmettre tout ça pour que d’autres puissent se lever derrière elles.

Ça, c’était la première chose, déjà l’accord de cette transmission. Deuxième chose, c’était reconnaître collectivement, ensemble, les freins, les obstacles qu’il faut lever pour s’engager en politique.

Et là, du coup, on a travaillé avec des anciennes femmes engagées, ex engagées dans le champ politique en one to one, puis, ensuite, en cercle. Reconnaître ce qu’il s’est passé : les abus, les discriminations, les violences sexistes et sexuelles, le harcèlement sexuel et tout ça, il faut que ce soit dit, il faut que ce soit…

Et en fait, c’était assez extraordinaire parce qu’au final, celles qui étaient déjà passées par le champ politique se disaient : mais finalement, c’est moi qui suis trop fragile, trop sensible, c’est moi qui aie un problème, finalement, et pour la première fois, cette mise en partage a permis de saisir que c’est le système qui dysfonctionne. Ce n’est pas nous qui dysfonctionnons.

C’est bon, ni pour les femmes, ni pour les hommes, ni pour personne. Cette violence qui s’exerce, ce n’importe quoi, ce qui se passe dans les partis politiques. Et ça, c’était aussi très fort.

Et donc, du coup, c’était aussi dire : reconnaissons celles qui sont passées par là, mettons sur la table les dysfonctionnements. Une fois qu’on les reconnaît, on peut les prendre en charge. Je parle du cyber harcèlement. Je parle de la question des investitures où le rapport de force est complètement dingue et perdu d’avance pour les femmes issues de la société civile. Où on les balance d’une circo à l’autre parce qu’on a besoin et qu’on ne veut pas payer d’amende et que machin, donc, du coup, rien ne va.

Et c’était aussi faire le constat de dire tant que ces constats ne sont pas posés, on ne peut pas les prendre en charge. Or, ça mérite des réponses collectives. Ce ne sont pas des problèmes individuels, ça nécessite une réponse collective. Et aussi… Et ça, c’était le travail de bouche à oreille sur ce programme, c’est de dire, il y a des femmes en France.

On n’a pas beaucoup de temps. On sait que les enjeux s’accélèrent. On voit bien les rapports du GIEC. On voit bien que cette mandature 2022-2027, là, il faut y aller quoi, c’est le moment de déclencher des résultats concrets. Il y a un type de femmes qu’il faut vraiment vite mettre à l’intérieur de l’institution. Qui sont ces femmes ? Des femmes qui sont des activistes, qui ont un domaine d’expertise.

Et donc, on le voit dans la composition des femmes qui ont contribué, à Investies. Tous les sujets des enjeux de société, climatiques, de genre, d’égalité actuels étaient dans cette promo. Ces femmes, elles sont expertes d’un sujet, donc elles sont vraiment très fortes, en tout cas dans ce domaine-là.

L’idée, c’était aussi de se nourrir les unes les autres des grands enjeux et de partager de pair à pair, les enjeux. Il y a un truc de fou chez ces femmes, c’est que ce sont des plaidoyeuses depuis 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans.

Donc l’institution, elles connaissent, elles n’ont pas fait Sciences po, elles n’ont peut-être pas fait l’ENA, mais en tout cas, l’institution, elles se la cognent tous les jours. Et donc, c’est un peu un coup double, on met à l’intérieur des femmes qui ont les connaissances sur les grands enjeux qu’il faut prendre en charge.

Et deuxièmement, qui connaissent le monde de l’institution. Et donc, du coup, qui ne vont pas passer deux ans à regarder comment ça marche, l’Assemblée nationale.

Non, elles savent comment ça fonctionne, le chemin de la loi.

Il vaut mieux taper d’abord le ministère qui est vraiment décisif, ou les conseillers du président plutôt que… Pareil pour le Parlement européen. En fait, on gagnerait un temps fou.

Non pas qu’il ne faille pas aller chercher les nouveaux visages. Les citoyens et les citoyennes, où ils en sont, mais dans le laps de temps qu’on a pour se préparer… Franchement, on gagnerait du temps à ce que ces femmes-là embarquent.

Seul problème ces femmes qui ont tout dont on aurait vraiment besoin à l’intérieur, qu’est-ce qu’elles disent ? Elles disent non, elles disent non. Déjà, c’est chaud, d’être militante activiste en France, comme partout dans le monde, les femmes militantes, notamment avec le cyberharcèlement, ces raids organisés ont tendance à silencier les femmes. Donc voilà, déjà, il y a un truc qu’il faut résoudre un peu partout dans le monde. Première chose.

Deuxièmement, comment ça se passe un engagement politique en plus d’un engagement professionnel et associatif et personnel, ou je ne sais pas quoi, comment ça passe dans le temps ? Incompréhension des règles du jeu, notamment des partis politiques, qui ne sont pas écrites. En fait, si elles étaient écrites, on pourrait jouer. Mais là, ce sont des trucs qui n’existent pas. Donc voilà.

Quelle est la différence entre quel parti, quel machin, quel truc ? Les procédures d’investiture. Là, on voit qu’il y a une crispation. Normalement les partis politiques. par exemple sur les investitures, normalement publient, à chaque élection, les procédures d’investiture. Là, on voit que c’est complètement bloqué sur 2022, que les tractations… Donc rien n’est écrit, reste n’est compréhensible.

La question du financement. Aller en politique, c’est super, mais on sait qu’une campagne, ça coûte extrêmement cher, qu’il y a beaucoup de partis et notamment dans le champ de forces progressistes qui sont vraiment sur la paille. On peut le dire, on peut rêver grand, se dire le champ progressiste, le bloc des justices va gagner la présidentielle, mais enfin, avec quel argent et quelles équipes ?

C’est juste une question qu’il faut quand même se poser un moment et donc, y compris pour des femmes qui n’ont pas accès à ces réseaux, aux partis politiques, qui n’ont pas accès…

Voilà, aujourd’hui, ouvrir un compte en banque pour faire campagne. C’est une bataille à mener chez son banquier. C’est à dire que plus aucune banque ne veut ouvrir parce que c’est trop risqué, parce que ça ne marche pas, parce que c’est que des tannées, c’est l’exposition de la banque… Bref.

Il y a ça, la question des réseaux, la question des expertises qui sont cachées. La question des investitures, c’est vraiment une science. Les poètes, ce qu’on appelle les poètes qui tractent entre eux les investitures, les négociations de circo, voilà qui sont ces gens en général, souvent, c’est très souvent des hommes. Mais voilà, on ne sait pas trop qui c’est. On ne sait pas trop comment le faire valoir.

Il y a toutes ces questions-là.

Et comment est-ce que ?… Voilà, Investies, c’était traverser tout ça : OK, c’est plutôt non pour chacune d’entre nous, les 60, plutôt non. Mais en fait, le challenge, c’était dire, OK, on a le droit de dire non, mais à la fin du parcours, il n’y a aucune injonction à se présenter.

Mais si c’est un non, c’est un vrai non, ce n’est pas un non par méconnaissance, ce n’est pas un non par peur, ce n’est pas un non par je ne sais pas quoi. Ce sera un vrai non.